mercoledì 17 dicembre 2008

Toulouse

Dans les villes qui m'hébergent, il y a un lieu qui me reste en mémoire comme celui où je vais me reposer l'esprit et me frotter aux autochtones. Un lieu où j'éprouve un plaisir singulier à passer du temps. A Nantes, je me souviens très bien, évidemment ce n'est pas si vieux !, du Lieu Unique. J'y allais pour voir jouer le pianiste angevin qui me racontait sa vie derrière lui. Jamais devant.
J'y allais pour le slam. J'y allais pour les expositions d'art contemporain. J'y allais pour boire un café et manger la noisette au chocolat qu'ils offraient avec. J'y allais parce que c'était la librairie que je préférais à Nantes. J'y allais pour des pièces de théâtre ou des spectacles de danse. J'y allais parce que j'adorais la déco et que je m'y sentais bien. Ca a beau être un grand hangar tout froid, j'y sentais une grande chaleur humaine. A Angers, évidemment, c'était les 400 coups. Mon cinéma préféré. Rester dans le hall pour regarder les bandes annonces, faire la queue avec Aurélie que je passais prendre au vol chez elle, ramasser une récolte de flyers devant la caisse, m'installer au quatrième rang, écouter mes voisins, m'enfoncer dans un film. Tout cela était bien suave. Rentrer chez moi, la séance finie, en marchant vite, très vite pour ne pas sentir le froid angevin.
A Toulouse, pour avoir arpenter un peu, depuis quatre mois que je réside ici, les rues du centre ville; c'est Terra Nova qui m'a séduite. Petite librairie que j'ai approchée par petites touches.
Une première promenade rapide parmi les livres en italien, seulement pour entendre craquer le parquet quand on l'a découverte, avec Vincent. Puis, j'y suis retournée régulièrement, sans le préméditer, chaque mercredi libre et me suis approchée chaque semaine un peu plus du fond de la boutique. C'est le jour où Chloro est tombée en panne, un jour où mon moral frôlait le parquet, que je me suis décidée à m'asseoir sur une des tables, au fond, et à commander un chocolat chaud et un crumble chocolat, pommes, noisette. Un délice qui m'est si bien resté en mémoire que j'y retourne dès que le vague à l'âme me prend. Il y a généralement quelques personnes qui parlent en espagnol, d'autres qui lisent des revues empruntées ou écrivent sur un morceau de papier (ça c'est moi en fait). Je dois avoir un sourire de circonstance et des joues bien rouges, un peu honteuse de venir là, satisfaire ma gourmandise sans compagnie et pleinement satisfaite, justement, de satisfaire ma gourmandise sans compagnie !

martedì 2 dicembre 2008

La girafe et le sablier

La girafe était partie pour comparer l’épaisseur de l’air de-ci de-là. Pour savoir si l’air était épais, elle courrait en fermant les yeux, le temps de se raconter une comptine de soixante pieds découpée en six vers de dix pieds ou douze vers de cinq.
Au dernier mot, elle s’arrêtait, ouvrait les yeux et exprimait son impression :
□ très épais
□ épais
□ mince
□ infime
Elle avait fait une série d'expériences dans une grande ville où elle avait compris la dangerosité de son jeu : elle avait heurté un panneau de signalisation et avait ouvert les yeux, couchée par terre, et tellement assommée qu’elle en avait oublié la nature de son test.
La deuxième fois, sur une grande place vide, elle était allée au bout mais avait été prise d’une quinte de toux à l’annonce du résultat. Elle avait ensuite décidé de quitter les zones urbaines. Elle partit dans le désert.
Au troisième test, elle était dans les dunes. Elle courrait vite et ouvrait grand la bouche pour articuler quand, oups, elle engloutit un sablier.
Enfin, évidemment, elle ne le savait pas que c’était un sablier, elle ne l’avait pas vu entrer. Et elle savait encore moins de quel genre de sablier il s’agissait.
Un petit canard boiteux ; il ne savait pas compter et malgré tous ces efforts pour apprendre, 1+1 continuait à être un concept incompréhensible. Quand il était petit, ses enseignants le retournaient et, battant la mesure pour l’aider, lui disaient : « tu n’as qu’à écouter et t’arrêter dans 60+60+60 secondes. Quel stress, il n’osait pas leur dire combien il en était incapable alors il attendait un peu et… à n'importe quel moment, il s’arrêtait. Bien sûr, il ne tombait pas juste, seulement plus ou moins loin de la réalité. Il passait des heures à s’entraîner tout seul mais, rien à faire, les chiffres ne lui venaient pas, il pouvait tout juste énumérer : « papillon, avion, boulette de papier… ». Il était capable de redire ensuite tout ce à quoi il avait pensé, mot pour mot sans oublier le moindre article, mais, les transformer en secondes, ça lui semblait impossible.
C’était un sablier étranger au temps et dont la seule préoccupation était de voler. Il avait décidé de quitter le foyer familial pour éviter à sa mère d'être la victime de ragots diffamants le concernant. Il s’était installé dans le désert où il essayait d’apprendre à s’envoler sur les ailes du vent lorsqu’il avait été englouti par la girafe.
Elle lui demanda timidement : « Je t’ai avalé… mais je ne t’ai pas vu. Qui es-tu ? »
Le sablier pensa qu’il allait pouvoir tricher sur son identité et n’aurait pas honte de ses lacunes.
Je suis une abeille, je ne t’ai pas vu venir, tu courrais très vite... et... je ne t'ai pas vu non plus. Qui es-tu ?
La girafe eut la même idée et dit la première chose qui lui passait par la tête.
Je suis une station stellaire. Dis, tu ne vas pas me piquer?
Non. Si tu m’aides à sortir, non. Mais, dis-moi, c'est quoi au juste une station stellaire et pourquoi il y fait si sombre ?
C'est un grand bâtiment avec plein d'étages qui a été installé ici, au milieu du désert, pour accueillir des scientifiques qui font des études sur l'espace stellaire.
Elle était plutôt fière de ce mensonge très crédible.
L'espace stellaire ?
Tout à coup, un doute la traversa, était-ce vraiment si crédible ?
Oui, tu sais, certains jours, les cieux sont obscurs, insondables. Là, tout le monde reste au port et vaque à des activités de recherche bibliothécaire ou d'écriture d'articles scientifiques. En revanche, lorsque la voix lactée nous offre un spectacle limpide exhibant sans pudeur ses étoiles, tout le monde sort son matériel d'observation et regarde.
Ah bon. Ils regardent, c'est tout ?
Oui, ils regardent.
... silence
Et, dis-moi, comment puis-je sortir ?
Je ne sais pas, c'est la première fois que j'assiste à ce genre de phénomène.
Mais, ces scientifiques, ils ne sauraient pas me faire sortir par hasard?
Je ne pense pas, ce sont des chercheurs stellaires, ils ne sont pas tellement intéressés par la matière terrestre.
Mais, eux, ils entrent comme bon leur semble, n'est-ce pas ?
Oui.
Et alors, pourquoi ne puis-je pas faire la même chose ?
...
Tu ne réponds pas.
Mais et toi petite abeille, que faisais-tu dans le désert ?
Hem... Justement j'ai été employé pour faire partie de ton équipe de chercheurs. Je suis une abeille spécialiste de la météo. Observer les étoiles me permet de prédire les humeurs des humains. Tu peux donc me donner les moyens de sortir et entrer non ?
La situation devenait délicate pour la girafe qui n'avait aucune idée de la manière dont elle pourrait faire sortir l'abeille. Elle eut le réflexe de dire :
Oui, en effet. Mais auparavant, je dois vérifier ce que tu me dis. Avec ta convocation pour venir ici, tu as dû recevoir un code secret pour accéder à tous les couloirs du bâtiment.
Encore des chiffres songea le sablier... Comment vais-je me sortir de ce mauvais pas ?
Une évidence lui vint en tête.
Comment pourrais-je te lire le code puisque je suis plongé dans le noir?
Ah, évidemment. Mais tu devrais l'avoir retenu par coeur, il n'est pas long.
On arrive déjà au fond du problème, pensa le sablier.
C'est que... je ne sais pas compter et je n'ai pas du tout la mémoire des chiffres, dit-il timidement.
La girafe, qui savait qu'aucune convocation n'avait été envoyée, remarqua:
Mais pourquoi me parles-tu de chiffres ? Le code est un mot de 6 lettres.
Ah non, je suis formel. C'était un code numérique.
Un code numérique ? C'est impossible. Je l'ai inventé moi-même.
C'est étrange n'est-ce pas. Chacun inventait une histoire qui n'existait pas mais paraissait suffisamment sûr de lui pour sembler parfaitement crédible. La girafe se mit à croire qu'un code existait réellement et qu'une station stellaire devait se tenir tout près d'ici. Le sablier songea que ce code pouvait lui sauver la vie. Il alla jusqu'au bout de son bluff et affirma :
Je suis étourdi, le code numérique, c'était pour la station aérienne que je m'apprêtais à rejoindre le mois dernier. Pour la station stellaire, le code était le mot « girafe ».
Vous seriez en droit de trouver étrange qu'il pense à ce mot-là. Vous verrez, si un jour il vous arrive de vous trouver enfermé dans une girafe si autre chose vous vient en tête.
Ah oui, murmura la girafe effrayée par tant de clairvoyance.
Pendant un moment, plus personne n'osa souffler mot. Puis, ils se mirent à parler de tout autre chose.
La girafe expliqua qu’elle était une sorte d’experte en densité de l’air et le sablier qu’il faisait les meilleurs miels de l’hémisphère sud. Puis, à beaucoup parler, ils devinrent plus sincères et des faiblesses leur échappèrent. Le sablier rit beaucoup en entendant le récit de la chute de la première expérience « air » et la girafe versa une larme en apprenant que le sablier avait quitté les siens.
Le sablier, encore remué par son récit, finit par dire à la girafe qu'il n'avait pas de convocation et donc aucun code pour circuler dans la station stellaire. Il ajouta qu'il avait un peu peur du noir et qu'il commençait à avoir des bouffées d'angoisse coincé comme il l'était.
Confidence pour confidence, elle lui avoua qu'elle n'avait pas envoyé de code mais que, si elle l'avait fait, elle aurait sans aucun doute choisi le mot « girafe ».
Sur cet élan, le sablier dit que son miel était médiocre selon la majorité des autres abeilles. La girafe avoua qu'elle était une station stellaire selon une interprétation très personnelle de la station stellaire.
Ca veut dire quoi « interprétation très personnelle »?
...
Vous m'avez un petit peu menti ?
Euh...
Un tout petit peu ?
Non. Je suis ce que j'imagine être une station stellaire. Cela signifie que je passe le plus clair de mon temps à regarder les étoiles, quand il fait nuit. Et quand il fait jour, je cours pour mesurer la densité de l'air.
La girafe souffla, elle se sentait vraiment mieux maintenant qu'elle avait craché le morceau, bien qu'elle n'ait encore aucune idée de la façon dont elle cracherait l'abeille.
Mais vous avez quelle forme alors ?
Et vous, que faites vous dans le désert alors ? Dit-elle vite pour échapper à la question.
Ben, je fais du miel. Ici, personne ne me reproche sa qualité.
Montrez moi comment vous faites.
Mais enfin, il me faut des fleurs, qu'est-ce que je peux bien faire coincé comme je suis dans cette lugubre obscurité sans ciel ni voix lactée ?
Ah. Je ne sais pas.
Faites moi sortir ! Je ne peux plus supporter de ne pas avoir de lumière.
Attendez.
La girafe ouvrit grand la bouche. Un filet de lumière entra. Le sablier aperçut l'intérieur du cou et comprit qu'il s'agissait d'un animal.
Mais vous êtes une bête ? C'est dégoûtant !
Ben merci, vous aussi !
Moi non, quelle horreur !
... ?
...
Vous n'êtes pas une bête ??? Mais vous êtes quoi alors ?
...
Répondez-moi. Sinon je vous crache.
Mais c'est tout ce que j'attends. Crachez-moi !
Non, je ne vous cracherai pas tant que vous ne m'aurez pas répondu.
Vous ne savez pas ce que vous voulez.
C'est vrai mais vous avez le couteau sous la gorge.
Mais je n'ai pas de gorge.
Cessez vos traits d'esprit. Sinon vous vous engagez à vivre dans la mienne.
Bon d'accord, je suis un sablier.
Un quoi ?
Un sablier vous savez : un objet plein de sable censé mesurer le temps.
C'est vrai ?
Non, en fait je suis une abeille.
???
Oui c'est vrai.
Mais vous savez que vous allez m'être très utile. J'ai grand besoin d'un compteur de temps pour mes expériences de mesure de la densité de l'air.
Mais non... Ah si, oui, très bien. Se ravisa le sablier. Mais faites moi sortir.
Mais je ne sais pas comment.
J'ai une idée.
Le sablier raconta une première blague. La girafe se détendit et rigola un peu. Il en raconta une deuxième, elle ria franchement. A la troisième, elle ria aux éclats. A la quatrième, elle se roulait par terre et finit par s'étouffer au coeur d'un éclat de rire. Le sablier fut éjecté hors de l'animal. 
Ravi de sa liberté, il fit quelques essais d'envol pour tester ses ailes. 
Puis son regard croisa celui de la girafe.
Ils se regardèrent comme s’ils se voyaient pour la première fois alors qu’ils avaient vécu l’un dans le gosier de l’autre.
Un peu mal à l'aise, elle lui demanda :
Alors tu m'aides à mesurer l'épaisseur de l'air ?
Une girafe ? Tu es une girafe ?
Oui. Dit-elle gênée.
Ca alors...
Tu m'aides ?
J'ai un problème... je ne peux pas t'aider. Je ne sais pas compter.
... ?
Oui, c'est incroyable un sablier qui ne sait pas compter. C'est comme si tu n'avais pas de cou. Mais tu en as bien un, il n'y a pas de doute.
Tu ne veux pas apprendre ?
Surtout pas, je veux seulement apprendre à voler.
Ah mais je peux t'aider.
Comment ?
Je suis monitrice de vol. Grimpe sur mon dos.
C'est vrai ?
Non, je suis une station stellaire.
???
Oui, c'est vrai. Grimpe.
Et ils partirent tous deux. La girafe apprit au sablier à voler. Le sablier lui enseigna à repérer les différentes épaisseurs de sable et grâce à son aide, elle sut bientôt compter. Elle ne comptait pas en chiffres, elle non plus, mais en liste de mots correspondant à des émotions vécues.
Ils voyageaient sans cesse et devinrent vite inséparables.
« Douceur, calme, château, maisons, ciel, arbres, sourire, jardin... ».
Ils avaient inventé un nouveau décompte des heures car il leur semblait que le temps avait bien moins d'importance que la manière dont on le remplit.